Votre cheval est-il un guerrier ?
Aujourd’hui, je suis devant mon ordinateur parce qu’il pleut dehors.
ça tombe bien. Je vais en profiter pour répondre en vidéo à un message que j’ai reçu par mail d’une de mes abonnées. Un message très intéressant.
« Bonjour Laurent. Je vous remercie pour vos messages que je lis toujours avec grand intérêt. Cependant une question me turlupine depuis que je vous connais, que je vous écoute, vous regarde, vous lis et échange même avec vous. J’entends bien tous vos conseils et guides ; pas de museroles, pieds nus, travail fractionné, sangler progressivement, vivre au maximum en liberté, avoir des interactions avec les congénères, etc. Je les applique au quotidien et ma jument est très bien dans sa tête.
Cependant, comment se fait-il que des chevaux ferrés, vivant au box 23 heures sur 24, n’en sortant que pour aller en carrière, ne bénéficiant pas d’une connexion et d’un soin particulier de la part de leur humain, montés enrênés pendant 45 minutes d’affilées avec noseband et mors sévère, etc., Bref le tableau classique que vous connaissez. Comment se fait-il que ces chevaux fassent de tels exploits ?
J’entends par exemple le challenge interne CSO qui a eu lieu dans nos écuries dimanche dernier, sous une chaleur de plomb. Les chevaux ont enchaîné jusqu’à six parcours de dix obstacles de 95 à 115 cm et qui plus est l’une des juments finit la puissance à 1m50. La gagnante est à 1m60. Or, les cavaliers sont restés vissés sur leur selle entre les épreuves de 105 et 115. Sur des chevaux transpirants de sueur, qui n’ont pas bu et n’ont surtout pas été dessanglés. Malgré tout cela, ils sautent, et ils sautent haut, et ils y mettent du cœur. Je ne vois pas de chevaux qui ont l’air d’avoir mal au dos, bref, je ne comprends pas ! »
Super question, vraiment très intéressante. Merci de me l’avoir posé parce que ça me donne l’occasion d’y répondre. J’ai d’ailleurs beaucoup réfléchi à ce sujet.
Je parle souvent de la loi de Pareto. La loi des 80/20, c’est-à-dire 20 % des efforts donnent 80 % des résultats.
Je dis toujours ; faites ces efforts-là et vous aurez 80 % des résultats. Ne faites pas les 80 % d’efforts qui ne vont vous donner que 20 % des résultats, c’est-à-dire la partie visible de l’iceberg.
Et en fait là, c’est exactement ça. C’est-à-dire que ces personnes ont fait 20 % d’efforts. Evidemment ce n’est pas les 20 % que je conseille mais c’est quand même 20 % d’efforts qui leur donnent 80 % des résultats.
Alors c’est quoi ces efforts qu’elles ont fait ?
Eh bien, il y a deux types d’efforts :
- le premier effort, c’est d’avoir sélectionné les chevaux. Parce que pour un cheval qui est capable de faire ça, il y en a 99 qui ne pourront pas le faire. Donc beaucoup de déchets, beaucoup de rebus. L’espérance de vie d’un cheval est très faible.
Il y a énormément de déchets avec ces méthodes-là. C’est pour ça que je ne les aime pas beaucoup mais elles peuvent marcher. Parce que le premier effort porte sur la sélection. C’est ce que m’a dit une personne récemment : « on les élève pour ça ».
- Et puis la deuxième chose, c’est qu’ils ont transformé leurs chevaux en guerriers.
Eh bien oui. Leurs chevaux ne connaissent rien d’autre. Donc, ils sont devenus à l’image de leur cavalier. C’est-à-dire que si le cavalier est un guerrier, un battant dans sa tête. Que c’est un vainqueur, un compétiteur, il va transformer son cheval en vainqueur, en battant, en compétiteur.
Notre cheval est à notre image.
Donc ce n’est pas incompatible avec ce que je conseille. Simplement il faut comprendre qu’effectivement on peut rendre le cheval dur au mal en le faisant souffrir. On peut le transformer en guerrier.
Ce que je dis toujours c’est que les cracks chevaux sont en fait les chevaux qui ne sentent pas leurs douleurs.
C’est-à-dire qu’ils vont au feu quoi qu’il arrive. Ce sont des chevaux de guerre, en fait.
Et c’est ça qu’il faut comprendre. Ils ont fait ces 20 % d’efforts-là, c’est-à-dire transformer leurs chevaux en animal de guerre, avec toutes les souffrances que ça comporte évidemment. Et du coup, ils ne s’occupent pas du tout de la souffrance du dos.
De toute façon, le cheval quand il a le dos écrasé, il ne le sent plus. C’est comme si le sang ne circule plus dans un de vos muscles, vous ne le sentez plus, vous ne ressentez plus la douleur, il n’y a plus rien ! Et quand leur dos est totalement bouilli, les chevaux ne ressentent plus rien. Ils ne savent pas qu’une autre vie est possible.
En plus pour le dos, il faut quand même comprendre qu’en saut d’obstacles, les chevaux étirent leur dos beaucoup plus qu’en dressage.
Donc même s’ils ont le dos en bouillie, il l’est moins que pour les chevaux de dressage parce qu’ils peuvent l’étirer sur les obstacles. Ils ont au moins cet avantage-là. Pareil pour les pieds ; ils ont toujours été ferrés. Ils se sont adaptés.
Ça ne veut pas dire, comme je l’explique dans mes vidéos, que ces chevaux-là ne pourraient pas être bien meilleurs si on respectait leur physique. Puisque le dos, c’est la courroie de transmission de l’énergie. S’il n’y a pas de dos, il n’y a pas de transmission. Donc, ça va quand même les gêner même si ce sont des cracks chevaux.
Alors évidemment pour sauter 105-115 il n’y a pas de souci. Mais pour aller faire des 140 ou au-dessus, là il y a un palier qu’ils ne pourront jamais passer.
Ce n’est pas parce qu’ils auront fait une puissance à 160 que ça change quelque chose.
La puissance, c’est sur des obstacles semi-fixes, et sur un seul gros effort. Ce n’est pas vraiment un parcours de sauts d’obstacles classique.
Ce n’est pas parce qu’un cheval peut sauter un obstacle isolé, même haut, comme disait d’Orgeix, que c’est un bon cheval. En fait, si on veut enchaîner des parcours, et il y a une vraie différence au-dessus d’1m35.
Et cette différence, elle joue sur des détails. D’ailleurs les grands cavaliers le savent parfaitement. Ils savent que c’est de tous petits détails qui vont faire la différence. Le diable est dans les détails.
Et les très grands cavaliers s’intéressent aux techniques qui permettent de régler ces petits détails.
Mais du coup on renverse le mécanisme ; c’est-à-dire que les 20 % d’efforts c’était de les transformer en guerriers. Et les détails deviennent les 80 % d’efforts après pour ces gens-là.
Alors que pour moi, les détails deviennent les 20% d’efforts. Tout dépend de la façon dont on voit les choses en fait.
Parce que avoir des chevaux qui sont bien dans leurs baskets, qui ont une nuque souple, ce n’est quand même pas le diable.
Même si la plupart des cavaliers de dressage ne savent pas ce que veut dire une nuque souple. Idem en équitation éthologique.
Mais peu importe, ça existe. C’est un concept qui est facile à comprendre et on peut facilement avoir des chevaux à la nuque souple et ça change tout. Ça donnera de bien meilleurs résultats même si on peut avoir ces résultats sans ça, évidemment.
On travaille sur le mental du cheval et on arrive à passer outre, que ça soit en équitation éthologique ou en équitation traditionnelle avec la compétition. Les chevaux de dressage, on leur impose des choses absolument inhumaines, mais ils l’acceptent.
Après c’est une question de philosophie.
Si on veut avoir une philosophie de bien-être pour son cheval, on est obligé de se remettre en question.
Mais si on veut juste avoir des résultats en compétition en prenant des chevaux qui ont des moyens largement au-dessus. Parce que pour faire 105-115 avec des chevaux qui sautent 1m60, il n’y a pas d’exploit. Il n’y a même pas d’intérêt.
Le vrai intérêt, c’est de réussir à faire 115 avec un cheval qui ne peut pas faire plus de 105 normalement. Arriver à le faire progresser, c’est ça le challenge. Le reste, ça valorise votre ego mais ça ne vous apporte rien sur le plan personnel parce que vous n’avez aucun mérite. En fait, c’est votre cheval qui l’a ce mérite.
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